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Le saviez-vous ? L'histoire de la source miracle d'Evian

Le saviez-vous ? L'histoire de la source miracle d'Evian

Découverte en 1790 par le marquis de Lessert, la source Cachat va être à l'origine de la création de la société des eaux d'Evian. Une source reconnue pour ses vertus curatives, qui va se développer grâce au thermalisme. Et en 1900, l'entreprise produit déjà près de 4 millions de litres.

L'histoire des eaux d'Evian commence en fait au XVIIe siècle à Amphion, petite bourgade située à 5 kilomètres d'Evian. A cette époque, la commune est connue pour ses cures où se pressent les riches bourgeois de la région et les membres de la Cour de Savoie.

Le thermalisme est alors réservé aux gens très riches. Ce n'est qu'à partir du XVIIIe siècle que le thermalisme va vraiment avoir du succès, avec la caution que lui accorde la Commission Royale de Médecine.

La station d'Amphion se développe alors, mais les curistes sont logés chez l'habitant à Evian, la deuxième ville du Chablais avec 1700 âmes et une forte tradition d'accueil. C'est comme ça qu'en 1790, un Auvergnat vient faire une cure pour soigner ses calculs rénaux. Il s'agit du Marquis de Lessert, réfugié dans les Etats sardes après la Révolution française. Il a l'habitude de se promener dans les environs et c'est au cours d'une balade qu'il découvre la source Cachat, un simplet filet d'eau sortant directement du sol. Plusieurs jours de suite, il revient pour boire son eau et s'aperçoit que son état de santé s'améliore !

L'eau de la source Cachat est froide et alcaline, donc neutre, agréable à boire, dotée d'un pouvoir diurétique qui favorise l'activité des reins.
A l'origine de cette source, un vaste plateau à 900 mètres d'altitude qui recueille les eaux de pluies. Cette eau traverse ensuite différentes couches de graviers et de sable qui servent de filtre. Ce qui donne au final une eau riche en calcium et en magnésium.

Grâce à ses relations, le Marquis de Lessert parle de cette source à des médecins en vue, notamment un médecin de Lausanne qui soigne toutes les têtes couronnées d'Europe. Le docteur Tissot analyse l'eau et est convaincu par les résultats, il décide de la prescrire à ses malades. Il en parle également à ses confrères comme le médecin de Voltaire. Et rapidement, tous les curistes d'Amphion ne repartent pas sans être venus boire un verre à la source d'Evian.

Le propriétaire de cette source est celui du terrain où elle surgit. Gabriel Cachat est un roturier qui vit seul avec ses deux enfants. Très vite, il comprend qu'il peut se faire un peu d'argent avec cette eau tombée du ciel. Il fait enclore son terrain et débute l'exploitation de la source en 1798. Il a également l'idée de faire expédier des bouteilles aux malades qui souhaitent continuer la cure chez eux contre trois sous.

En 1806, Gabriel Cachat fait construire un petit bâtiment où il installe une vingtaine de baignoires et une buvette, les curistes sont accueillis pour se baigner dans l'eau d'Evian.

Mais en 1826, un homme d'affaire originaire de Genève arrive avec une offre qu'il ne peut refuser. Et la source est vendue à François Fauconnet, qui crée une société pour exploiter à plus grande échelle les eaux d'Evian.

Une première vraie exploitation de la source

Véritable entrepreneur, il a le soutien d'investisseurs suisses et parisiens. François Fauconnet fait construire un nouveau bâtiment avec baignoires et douches, puis un hôtel. Il crée également un dépôt à Genève où débute la commercialisation de bouteilles en verre transportées en charrette depuis Evian.

Dans les années 1830, la société n'emploie que 5 salariés. Mais elle vend déjà 7000 litres d'eau par an.

En 1834, François Fauconnet décide de se retirer et nomme un directeur à la tête de la source. Sauf que sa gestion est hasardeuse et la société fait faillite en seulement 10 ans. Elle est alors reprise en main par les créanciers de Fauconnet, sept investisseurs de Genève, qui investissent pour développer la source. Parmi leurs projets, un nouvel hôtel très confortable installé 40 mètres au-dessus du lac : le futur grand Hôtel des Bains.

L'entreprise est confiée à Jean Vignier, un notaire suisse. Mais sans fortes personnalités pour la diriger, elle vivote. Ses salariés sont de simples pères de famille qui espèrent dégager un peu de bénéfices pour vivre…

Au milieu du XIXe siècle, l'entreprise prend un tournant important car les gens des villes commencent à vouloir se rapprocher de la nature. Les bourgeois veulent avoir une vie saine, soigner leur hygiène : ils partent en vacances à la montagne et boivent de l'eau minérale à table.

Le nombre de curistes explose et l'eau d'Evian gagne en renommée. En 1860, ce sont 15 salariés qui sont chargés d'embouteiller l'eau, car ce sont 60 000 litres annuels qui sont désormais vendus. Un succès qui attire de nouveaux investisseurs, à la recherche de sources miracles dans la région.

Certains vont concurrencer la source Cachat, notamment la source Bonnevie détenue par un groupe suisse.

Les propriétaires de la source Cachat décident donc de restructurer leur entreprise, d'augmenter le capital et de chercher également d'autres sources pour développer leur production d'eau. La source Guillot, dont le débit est de 20 litres par minute contre 4 litres pour Cachat, est notamment acquise. Et le Grand Hôtel est transformé pour accueillir plus de 2700 curistes par an.

La guerre contre ses concurrents... et la ville d'Evian

Ce n'est alors que le début de la grande époque des eaux d'Evian. Car en 1860, la Savoie devient française, permettant l'afflux de touristes. De plus, l'empereur Napoléon III fait une publicité importante pour le thermalisme en fréquentant les stations de Vichy ou Biarritz. Ces stations deviennent de véritables pôles d'animations où les grands bourgeois et aristocrates jouent au casino et organisent des fêtes.

Jean Vignier s'est lancé dans une véritable guerre contre les autres sources. Il rachète la source Bonnevie et son débit de 60 litres par minute en 1868. C'est à cette époque que l'entreprise change de nom pour Société anonyme des eaux minérales d'Evian.

Après plusieurs tentatives, la ville d'Evian, rebaptisée Evian-les-Bains en 1864, parvient à s'inviter dans le bal des sources. Elle crée un établissement thermal concurrent en 1878 grâce au leg de l'ancien maire, le baron Ednnemond de Blonay. A sa mort, il fait don de toute sa fortune et de son château à la commune. Ce dernier est transformé en casino, le dernier étage de la fusée pour devenir une vraie station thermale.

Mais la ville ne s'arrête pas là et construit également un établissement de bains et un petit site d'embouteillage. Une concurrence qui agace Jean Vignier et la Société des eaux.

En 1877, un procès les oppose pour les droits d'exploitation de la source du Coffre située sur la commune d'Evian. Puis la société Cachat demande une déclaration d'utilité publique à laquelle la municipalité tente de s'opposer. Pour riposter, la Société des eaux essaye de freiner l'autorisation d'exploitation du casino. Chacun fait ainsi jouer ses influences…

La bataille se termine en 1892. Affaiblie, la ville renonce et signe une convention avec la Société des eaux à qui elle loue les sources municipales et le casino contre le paiement d'une redevance. La Société des eaux devient toute puissante à Evian.

Un duo fondateur

Entre temps, une OPA a eu lieu au sein de l'entreprise. Les actionnaires suisses avaient besoin de capitaux pour financer le développement de leur entreprise. En ouvrant leur capital, ils se sont retrouvés minoritaires et se sont fait éjecter en 1881. Les nouveaux maîtres à bord se nomment Gustave Girod et Alfred André, des banquiers protestants parisiens. A eux deux, ils ont fondé la banque André-Girod qui deviendra Neuflize-Schlumberger.

Depuis 1866, Gustave Girod vient faire des cures à Evian où il a fait construire une propriété. De plus, il est maire du XVe arrondissement de Paris. Il fait donc venir du beau monde dans le Chablais.

Alfred André descend quant à lui d'une des plus importantes familles de négociants en soie.

Très présent pendant la saison thermale de juillet à septembre, le duo s'investit beaucoup dans le développement de la Société des eaux d'Evian. L'entreprise, soutenue désormais par les milieux bancaires, a enfin les moyens de développer la commercialisation de son eau. Car jusqu'à présent, seules trois villes étaient approvisionnées : Lyon, Paris et Genève.

De nouveaux dépôts sont créés, notamment à la capitale, pour favoriser une commercialisation nationale. Des agents sillonnent le pays pour démarcher les médecins et les épiciers.

Gustave Girod et Alfred André modernisent l'hôtel, améliorent la production d'eau, découvrent et exploitent de nouvelles sources…

La société connaît un essor extraordinaire. Car en 1881, elle accueillait 4300 curistes. Dix ans plus tard, ils sont près de 10 000 grâce à l'arrivée du chemin de fer à Evian en 1882.

La vente d'eau minérale augmente aussi. De 92 000 litres d'Evian par an en 1880, les ventes passent à 200 000 litres en 1885, à 615 000 litres en 1890, à 1,5 million en 1895 et enfin à 3,8 millions en 1900.

Le marché des eaux minérales explose en général. En 1863, Vichy vendait déjà 2 millions de litres et Saint-Galmier 4 millions de litres de sa Badoit.

Gustave Girod et Alfred André comprennent tout de suite le rôle déterminant de la communication et de la publicité pour promouvoir leur source. Ils utilisent l'affichage, publient des brochures, imposent leurs bouteilles d'Evian dans les wagons-restaurant, participent à toutes les expositions universelles…

Mais en 1892, Gustave Girod meurt. Et quatre ans plus tard, c'est au tour d'Alfred André de disparaître.

Le baron Jean de Neuflize leur succède à la tête de la Société des eaux où il restera pendant 32 ans. Il s'agit du neveu d'Alfred André.

Bon gestionnaire, il fait construire une nouvelle usine d'embouteillage en 1899. Très mécanisée, elle est reliée à la source. Seuls le chargement et le déchargement des caisses sont faits à la main.

L'Hôtel des Bains est agrandi et transformé en 1897 en Hôtel Splendide, le plus grand hôtel situé sur les bords du lac Léman.

Le baron de Neuflize décide également de construire un nouvel établissement thermal, l'Institut d'Hydrothérapie, achevé en 1902.

Des aménagements et modernisations qui attirent de nouveaux clients, dont certains très célèbres. A la fin du XIXe siècle, Marcel Proust vient plusieurs années de suite dans le Chablais et s'inspirera de son séjour à l'Hôtel d'Evian pour écrire "A la recherche du temps perdu".
On compte également les venues de Gustave Eiffel, Alexandre Dumas, Victor Hugo, Léon Gambetta… 

Evian est devenue la station thermale à la mode, avec 150 hôtels ouverts toute l'année.

Quant à la Société des eaux, elle emploie désormais plus de 270 salariés.

Les guerres assèchent les ventes

Mais elle va vivre un nouveau tournant. Car pour créer une verrerie uniquement réservée à la production de ses bouteilles en verre pour l'eau d'Evian, l'entreprise s'associe avec la verrerie Souchon à Givors au sud de Lyon. Une verrerie qui deviendra ensuite BSN puis Danone. Et qui sera transformée à la veille de la Première guerre mondiale en société anonyme avec sept actionnaires, dont la Société des eaux.

Avant le conflit, 12 millions de litres d'eau d'Evian sont produits. A la fin de la guerre, la production est tombée à 1 million de litres. Et les curistes ont déserté les bords du lac Léman…

Mais l'activité redémarre dans les années 20, les années folles ! Il faut attendre 1923 pour que la consommation d'eau retrouve les volumes d'avant guerre. Et c'est justement à ce moment qu'éclate un scandale…

Des analyses réalisées par la répression des fraudes sur des bouteilles provenant de la source du Chatelet à Evian révèle que cette eau est polluée. Si la source est exploitée par une entreprise concurrente de la Société des eaux, le scandale cause un tort considérable à toute la ville d'Evian car les consommateurs font un amalgame et doutent de la qualité de toutes les eaux minérales du Chablais.

La Société des eaux réagit parfaitement en attaquant son concurrent en justice et en demandant à être déclarée d'utilité publique pour pouvoir installer un périmètre de protection autour de sa source. Ce qu'elle obtient en 1926, faisant taire les rumeurs.

Pierre Girod, le fils de Gustave, succède à Jean de Neuflize. Il connaît quelques embrouilles juridiques et financières dans les années 30 mais parvient à garder le contrôle de la société jusqu'en 1941. La Seconde guerre mondiale est l'une des périodes les plus noires de l'entreprise. Car l'activité est pratiquement stoppée, les hôtels sont endommagés, le verre manque. Et la production tombe à 1,8 million de litres en 1944.

C'est à cette période que le gendre de Pierre Girod, Philippe Cruze, reprend le flambeau. Fait prisonnier en 1941, il devient le nouveau dirigeant à son retour de captivité. Excellent gestionnaire, il réduit au maximum les charges d'Evian. Mais en 1947, le déficit cumulé atteint 15 millions de francs, soit la moitié du capital de l'entreprise.

Surfer sur la vague du baby-boom

C'est là qu'il a un coup de génie commercial en ciblant les nouveaux-nés ! Son objectif, c'est que les mères utilisent l'eau d'Evian pour couper le lait des biberons qu'elles donnent à leur enfant. Le corps médical apporte son soutien à cette pratique, jugeant que l'eau est tout à fait adaptée, plutôt que l'eau courante encore trop souvent suspecte.

Une démarche qui tombe en plein baby-boom. Ce sont donc des millions d'enfants qui vont être élevés à l'eau d'Evian. Dans l'imaginaire, l'eau d'Evian acquiert une image de pureté, de sécurité. Les messages publicitaires de l'époque insistent sur l'origine montagnarde de l'eau minérale. Et elle passe du biberon à la table familiale.

En 1949, la production atteint 29 millions de litres. Trois ans plus tard, le cap des 64 millions est franchi. Et c'est en 1959, avec 270 millions de litres, qu'Evian devient l'eau minérale la plus vendue de France. La grande distribution approche et les ventes vont encore exploser…

Pour faire face à ce développement à vitesse grand V, une usine d'embouteillage ultra-moderne voit le jour en 1953 à côté de la gare pour faciliter le transport. Mais il faut, trois ans plus tard, construire une seconde usine sur la plaine d'Amphion pour doubler les capacités de production.

La ville d'Evian bénéficie aussi du développement de la Société des eaux, car elle est intéressée aux ventes et aux bénéfices de bouteilles, mais aussi à ceux du casino. Du coup, elle entreprend de grands travaux : des HLM, un hôpital, le Palais des Festivités…

Philippe Cruze meurt en 1952. C'est son fils Frédéric qui lui succède et qui lance un certain nombre d'innovations. Notamment le Brumisateur en 1962 qui connaît un certain succès. Ou encore l'Evian fruitée, une eau d'Evian mélangée à des extraits de fruits.

1966 est un nouveau tournant car Antoine Riboud, descendant de Lucien Souchon, le patron des verreries de Givors, prend la tête de la Société des eaux et rachète Badoit à Saint-Galmier dans la Loire. La source d'eau gazeuse très ancienne connaissait des difficultés financières.

Antoine Riboud avait décidé de fusionner la verrerie avec une entreprise du Nord qui fabrique du vitrage, les Glaces de Boussois. Le groupe BSN (pour Boussois-Souchon-Neuvesel) est né, il compte 4650 salariés et réalise 1,2 milliard de francs de chiffre d'affaires.

La stratégie d'Antoine Riboud est de devenir le premier fabricant de verre européen. Son OPA sur Saint-Gobain échoue en 1969. Il décide de faire marche arrière et de plutôt se lancer dans l'agro-alimentaire, multipliant les acquisitions. Dont la Société des eaux d'Evian en 1971 dans laquelle il avait déjà une participation significative. Sous son impulsion, il fait prendre le virage du plastique à Evian.

Et en quelques décennies, ses bouteilles s'imposent partout dans le monde.


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